Chacun sait que la justice n’est qu’un théâtre grossier où les riches et leurs supplétifs s’en prennent aux pauvres et aux rebelles. Or, ce théâtre ne se vaut pas toujours. Il est souvent expéditif, bâclé. Il semble parfois trop huilé, comme joué d’avance, pauvre en dramaturgie. La pièce qui s’est ouverte mardi 18 décembre au matin au tribunal d’Hambourg s’annonce tout à la fois haletante (29 audiences étalées sur les six prochains mois) et plus surprenante que prévue. En cause, un scénario fort mal écrit, une embarassante erreur de casting et une intervention inattendue. Décryptons.
Le pitch de départ est connu. D’un côté nous avons la ville d’Hambourg, ses flics et sa justice en quête d’une revanche après l’humiliation subie lors des émeutes qui ont ruiné leur G20 en 2017. Cette partie-là a mis les gros moyens pour se fabriquer un succès retentissant. La promotion du procès a largement été faite dans les médias. Les appels à délation, perquisitions, mandat d’arrêt européen et autres arrestations à l’étranger ont donné l’illusion d’un travail efficace des enquêteurs (cent quatre-vingts agents à temps plein pendant 15 mois, tout de même). De l’autre, il y a les cinq co-accusés, démasqués, traqués, arrêtés et détenus (pour trois d’entre eux), ils doivent payer pour les faits qui leurs sont reprochés : leur participation au saccage express de l’Elbchaussee, une rue huppée d’un quartier bourgeois de la ville, au matin du vendredi 7 juillet. En quelques minutes, cette balade contre la rencontre des dirigeants les plus riches de la planète aurait causé plus d’un million d’euros de dégâts, s’attaquant systématiquement aux symboles de l’argent et du pouvoir ; banques, consulats, voitures et commerces dont un fameux magasin scandinave d’ameublement merdique.
D’un côté donc, cinq jeunes gens de moins de 25 ans, quatre allemands et un français. De l’autre, une armada de policiers, juges, politiciens et journalistes convaincus de leur culpabilité. Mais, de quelle culpabilité parle-t-on exactement ? Voici l’énigmatique question qui n’a pas manqué de surgir aux yeux de tous lors de la première journée d’audience.
Après avoir levé en retard son sinistre rideau – à cause des dizaines de personnes massées en soutien devant l’enceinte et dans la salle – le tribunal a procédé à la longue lecture des actes d’accusations et à celle encore plus soporifique des dégradations causées par la manifestation matinale. On a alors pu entendre une longue litanie de plaques d’immatriculations de véhicules incendiés et d’estimations du coût de chaque vitrine brisée. Car c’est bien de cela qu’il s’agit. Quand des voitures brûlent et que des vitres pètent, l’État réclame que l’on condamne celles et ceux qui brûlent des voitures ou qui pètent des vitres. Or, ce qui ne pouvait qu’étonner ici les commentateurs de tout bord, c’est l’absence de lien entre les personnes inculpées et les faits reprochés. En d’autres termes, ce procès, annoncé partout comme celui des brûleurs de voitures de l’Elbchaussee, fait comparaître cinq personnes auxquelles on ne reproche absolument pas d’avoir incendié des voitures ou cassé des vitrines.
Ce qu’on leur reproche c’est essentiellement leur présence supposée lors de cette manifestation – et quelques gestes supplémentaires dans le cas de notre ami Loïc. Et ce que le procureur, c’est-à-dire l’État, entend prouver au cours des prochains mois, c’est que l’on peut tout à fait condamner à plusieurs années de prison ferme des personnes présentes dans une manifestation au cours de laquelle ont lieu des dégradations et ce sans avoir à démontrer que ces personnes ont pris une part active à ces agissements. Pour réussir ce tour de passe-passe, il faut parvenir à transformer une manifestation politique en une bande criminelle organisée. C’est à cette prouesse que compte maintenant s’atteler Tim Pashkowski, le procureur d’Hambourg.
Mais voilà, le drame ficelé par le ministère public pourrait bien se muer en une satire acerbe ! Car si la défense a constaté depuis des mois le vide du dossier (malgré plusieurs milliers de pages) il semble que celui-ci n’ait pas non plus échappé à la présidente de la 17ème chambre pénale. Lors de négociations orales préalables au procès, Anne Meyer-Goring a estimé des peines maximales nettement inférieures à celles espérées par le procureur et demandé, en vain, la libération conditionnelle de deux prévenus. Or, cette juge de la Cour des jeunes (deux des accusés étaient mineurs au moment des faits) s’est déjà illustrée en infligeant par le passé de sévères camouflets au travail des enquêteurs (les accusant notamment de monter des dossiers en réponse aux pressions politiques et médiatiques). Face à un tel risque de désaveu, le procureur a tout bonnement tenté de l’évincer de l’affaire début décembre ! Sa requête en partialité n’a pas étdeé reçue et c’est donc bien elle qui présidera ce procès fleuve où la justice aura pour tâche de valider ou de rejeter les nouvelles méthodes répressives de la police allemande et leurs fondements politiques (criminaliser l’ensemble des personnes présentes dans une manifestation).[1]
Parmi ces innovations réjouissantes, se trouve le fichage massif et automatisé des habitant.es et manifestant.es grâce à un puissant logiciel de reconnaissance faciale acheté pour l’occasion. Des dizaines de miliers de visages ont été enregistrés, triés, classés puis stockés selon « des profils d’identité faciale biométrique » permettant de les reconnaître sur d’autres images, de suivre leurs mouvements dans une foule etc. Or, tout cela ne dispose d’aucun cadre légal et il n’y a pas que les activistes ou leurs avocats pour s’en rendre compte. Mardi, au moment même où s’ouvrait le procès de l’Elbchaussee, le Commissaire à la protection des données de Hambourg a ordonné la suppression de cette base. On parle ici de plus de 100 téraoctets d’information, de 32 000 fichiers vidéo et images, d’un nombre jamais défini de personnes concernées.
La police a utilisé ses propres images mais aussi celle des caméras des transports publics, des gares, des médias et toutes les photos aimablement envoyées par d’honnêtes citoyens sur un portail de recherche (c’est-à-dire de délation). Le commissaire à la protection des données estime que cette procédure « empiète de manière significative sur les droits et libertés d’un grand nombre de personnes ». Il réclame la suppression de la base de données et l’interdiction du logiciel Videmo360. Les flics eux voudraient bien continuer à faire joujou avec ce gadget à plusieurs milions d’euros bien qu’il n’ait pas servi à identifier grand monde depuis sa mise en service (trois personnes dans le cadre du G20). Preuve en est de la nouvelle série de 54 visages publiés cette semaine sur le site de la Hamburg Polizei. Certainement avec l’espoir de susciter de nouvelles vocations de balance.
Telle est donc l’ambiance dans laquelle s’est ouvert ce procès-spectacle dont chacun.e, activistes, juristes ou politicard.es, s’accorde à dire qu’il écrira un bout de l’histoire juridique allemande et pourrait compromettre durablement le droit de manifester. Et comme tout bon spectacle ne saurait être donné sans auditoire, l’hypothèse d’un procès à huis clos a finalement été abandonnée et les prochaines audiences, le 8 et 10 janvier, seront ouvertes au public. Ces actes et ceux qui suivront apporteront leur lot de révélations sur la faiblesse du dossier et peut-être des réponses aux questions qui subsistent. Par exemple, la flicaille allemande peut-elle tout se permettre lorsqu’elle s’invite à l’étranger ? Ou encore, le black bloc résulte-t-il, comme le prétend le procureur, « d’une coopération délibérée fondée sur la division du travail » ? Et qu’est-ce-donc exactement que « l’aide mentale » que les manifestant.es « pacifistes » sont accusé.es d’avoir fourni à celles et ceux qui commettaient des dégradations ? Peut-on être reconnu coupable des événements survenus dans une manifestation alors même qu’on l’a déjà quittée ? Peut-on prétendre sérieusement que la démarche d’une personne est aussi unique et identifiable que ses empreintes digitales ?
Ce drame que l’État s’obstine à écrire ne tournera probablement pas à la comédie. Pour autant, chacune des audiences futures doit être l’occasion de souligner le ridicule des accusations comme la pertinence des actes de résistance ici mis en cause. L’occasion surtout de soutenir de quelques manières que ce soient nos camarades et amis, acteurs malgré eux de cette farce grotesque. Des premiers rassemblements ont eu lieu la semaine dernière à Paris, Nancy, Fribourg-en-Brisgau, Francfort ou Berlin ainsi qu’une grande manifestation dans les rues d’Hambourg, à la veille de l’ouverture du procès. Des feux d’artifices ont été tirés depuis les toits des squats voisins et des chants se sont élevés devant les murs de la taule où trois des accusés sont encore détenus. Le lendemain, ceux-ci sont entrés sous les applaudissements de la salle et en sont sortis le poing levé. Le procès sera long, c’est à eux que nous pensons fortement ces jours-ci !
Liberté pour Loïc !
Liberté pour tou.te.s les prisonnier.es du G20 !
Comité de soutien transfrontalier
PROCHAINES DATES DU PROCÈS
Janvier : le 8, 10, 15, 17, 22, 24, 29, 31
Février : le 7, 8, 14, 15, 20, 21
Mars : le 18, 22, 28, 29
Avril : le 4, 5, 25, 26
Mai : le 2, 3, 9, 10
AIDER AUX FRAIS DE SOUTIEN ET DE DÉFENSE
La défense de Loïc, sa vie en prison et les déplacements pour aller le soutenir occasionnent pas mal de dépenses. Si vous voulez/pouvez participer, merci d’utiliser l’appel à dons sur le site Hello Asso (voir Comment soutenir ?)
L’ÉPINEUSE QUESTION DES LIVRES
Loïc veut des livres, beaucoup de livres, plein de livres pour, explique-t-il, « nourrir l’arme intellectuelle ». Il dévore près de deux livres par jour (certes pas des Pléiade, non plus) dans une petite cellule, entre le sommeil et les quelques dizaines de minutes de promenade. Or, les règles de l’administration pénitentiaire pour lui faire parvenir sont évidemment très contraignantes : il faut notamment qu’ils soient neufs, déclarés en amont à l’administration, etc. Les premiers ont mis un mois et demi à lui parvenir.
Si vous voulez participer à cette solidarité, et pour éviter tout doublon dans les envois, le mieux est de faire directement un don pour aider à se les procurer.
Si vous êtes libraire, éditeur-ice, auteur-ice et que vous voulez également manifester votre solidarité en filant des bouquins (services presse, neufs, ou très bon état, etc), n’hésitez pas à contacter l’adresse ci-dessous, ça lui fera très plaisir. Merci !
[1] Loin de nous cependant, l’envie de faire l’éloge d’une magistrate qui, si elle s’érige en rempart du bon droit face à certaines dérives politico-policières, n’en soutient pas moins la logique de l’accusation en proposant des peines allant jusqu’à trois années de prison ferme. ↩