LOÏC : « JE NE SAVAIS PAS QU’UN PROCÈS POUVAIT DURER AUSSI LONGTEMPS »

Ce mercredi 17 juin, pour la première fois depuis l’ouverture du procès de l’Elbchaussee à Hambourg, notre ami Loïc a pu s’exprimer au tribunal. Sa déclaration a duré environ une heure. L’événement était d’autant plus attendu qu’il marquait également la réouverture de ce procès au public après 18 mois de huis clos. L’heure n’était pourtant pas, hier, aux grands rassemblements. Crise sanitaire oblige, seules 15 personnes ont en effet été autorisées à s’asseoir sur les bancs de la salle d’audience. Les autres sont restées à l’extérieur et c’est avec des masques de protection que la déclaration a été lue et entendue. En voici la retranscription complète.

 

Mesdames et messieurs les jurés,

Enfin, nous arrivons vers la fin de ce procès qui a débuté en décembre 2018. Je ne savais pas qu’un procès pouvait durer aussi longtemps.

J’ai été arrêté quelques jours après l’anniversaire de mes 22 ans, en août 2018, les policiers ont défoncé la porte de la maison de mes parents en criant, ma petite sœur a dû se mettre à genoux les mains sur la tête. En entendant la porte se faire fracasser, j’ai eu dans mon esprit des images de violence policière lors d’interpellations, de comment les policiers se lâchent et frappent les personnes. J’ai pris peur et je suis passé par le toit en finissant dans le jardin des voisins et j’ai rejoint l’autre côté du lotissement. Mais la police avait bouclé l’ensemble du quartier, et une personne qui marche en chaussettes sur la route est très vite suspectée. Un policier en civil se met à courir après moi en me criant : « Viens ici petit merdeux ». Ayant ressenti dans sa voix une certaine animosité, je juge préférable de ne pas répondre à son invitation qui, si c’était moi qui lui avais dit « merdeux », relèverait de l’outrage.

Je me retrouve alors dans le jardin puis le garage d’un voisin, pris au piège. Étant contre le mur, contraint d’attendre que le policier arrive, ce dernier me saute dessus et me tord le poignet droit alors que je me laisse faire. Je lui fais la remarque de sa violence inutile et il me réplique : « Estime toi heureux que je ne t’ai pas tiré dessus ». Vu sous cet angle, je m’estime effectivement heureux d’être encore en vie. Il est vrai que de nombreuses interpellations policières ont comme fâcheuse tendance de se transformer en peine de mort. Mais ce triste sort est d’avantage réservé aux personnes racisées habitants dans les quartiers populaires. En France, il ne passe pas un mois sans décès lors d’interpellation. La porte du garage finit par s’ouvrir, des policiers, gendarmes, bacqueux et civils cagoulés apparaissent, arme automatique à la main. Peut-être trente membres des « forces de l’ordre ».

Le voisin, à qui appartient le garage, sort de sa maison et découvrant la scène me dit spontanément : « Ça va Loïc ? Tu veux un verre d’eau ? ». Cette remarque a fait un blanc dans le sérieux et la lourdeur de l’interpellation, j’ai fait de mon mieux pour étouffer un rire et j’ai refusé le verre d’eau car mes mains étaient attachées. De retour à la maison de mes parents afin de mettre mes chaussures, je n’arrive pas à faire mes lacets et demande aux gendarmes d’enlever mes menottes : « Nan, c’est possible d’y arriver avec », répond l’un. J’ai toujours aimé les défis alors j’essaye, mais vu que mes mains sont attachées dans le dos – et même avec beaucoup de volonté – c’est tout bonnement impossible. Les gendarmes rigolent et se moquent de moi. Ma petite sœur se tient juste à côté avec une sérénité mélangée d’émotions comme je n’en avais jamais vu sur son visage, son regard est puissant. Elle lance spontanément avec force aux gendarmes : « Mais enlevez-lui les menottes pour qu’il mette ses chaussures ! » Sa voix contient une puissance divine, la moquerie s’est transformée en gène. J’ai vu les regards des gendarmes se perdre vers le sol et l’un s’est empressé d’enlever les menottes. Ma petite sœur aurait dit : « Mais enlevez-lui les menottes et laissez-le libre ! », les gendarmes seraient peut-être partis et j’aurais pu faire un câlin à ma petite sœur. Parce que viendront ensuite 1 an et 4 mois d’emprisonnement, 1 an et 4 mois où même au parloir, les gardiens empêchent les câlins.

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ANALYSE / Escalade de l’arbitraire, procédure disciplinaire & libération d’un oiseau

Ce texte écrit par Loïc depuis la prison de Hambourg nous est parvenu récemment. Les traductions placées entre crochets sont de notre fait. Dans la version manuscrite, les dialogues sont pour l’essentiel écrits uniquement en allemand.

Les faits remontent au samedi 15 juin 2019, jour de la 4ème manifestation de soutien aux prisonniers politiques. Lorsque j’écris ces lignes au propre, nous sommes fin septembre 2019. Si j’ai laissé passer le temps, c’est parce que j’entends sans arrêt (aux promenades pendant les activités) les nouvelles prouesses de certains gardiens peu vertueux (souvent les mêmes) qui ont pu enrichir ce texte ; mais également afin de voir si la procédure disciplinaire serait ou non enclenchée. Plus de trois mois de recul et aucune nouvelle de cette procédure, je peux donc décrire l’ensemble de cette péripétie carcérale.

Ce samedi de la mi-juin, je pensais à l’anniversaire de ma petite sœur qui arrivait le lendemain et comme chaque samedi, un gardien ouvre ma porte à 13h30 pour allez au groupe de gymnastique. Il m’arrive de sauter une ou deux fois par mois ce groupe en restant dans ma cellule soit parce que j’ai mal dormi ou alors occupé à lire, penser, écouter la radio libre de Hambourg, inventer des jeux, écrire… C’était le cas ce samedi, j’informe donc le gardien que je souhaite rester en cellule. En temps normal, le gardien referme la cellule et s’en va. Mais cette fois-ci il reste, regarde un instant dans tous les sens puis soupire. À ce moment là, j’ai eu l’intuition qu’il y avait peut-être à nouveau une manifestation aujourd’hui. Il insiste : « Kommen-sie in Yoga ! » [- Venez au yoga !], je réponds encore une fois « Nein danke, ich will nicht heute » [- Non merci, je ne veux pas aujourd’hui]. Il s’en va en laissant la porte ouverte. 30 secondes plus tard, il revient « So Yoga! » [- Alors, yoga !] « Ich habe nein gesagt ! » [- J’ai dit non !]. La porte se referme. C’est certain, il y a une manifestation aujourd’hui . Je me demande alors s’ils vont me refaire le même coup que la dernière fois avec l’isolement pour rien. 14 heures, l’écho lointain de la manifestation se fait entendre. Après quelques instants, des pas accompagnés de bruits de clefs apparaissent dans le couloir, un frisson me traverse au moment où la clef tournent le verrou de ma porte qui s’ouvre, 4 gardiens sont là (contre 2 le mois dernier), l’un s’écrit :

Lui – « So ! Kommen-sie mit uns in keller ! » [- Allez, venez avec nous au sous-sol !]

Moi – « Warum ? » [- Pourquoi ?]

Lui – « Fur die letzte mal… » [- À cause de la dernière fois…]

Moi – « Eine Frage, warum die zwei erste protest keine problem und jetzt … » [- Juste une question : pourquoi n’y a-t-il pas eu de problèmes pour les deux premières manifs et maintenant… ]

Lui – « Keine Frage ! » [- Pas de questions !]

Moi – « Nein, ich bleibe hier. » [- Non, je reste ici.]

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ANALYSE / L’enquête post-G20 en Suisse

À lire ces jours ci, cet article publié par sur le site suisse renverse.info, pendant helvétique des sites d’informations libertaires du réseau Mutu (Manif-est.info en Lorraine, Paris-luttes.info en région parisienne etc.).

On y apprend les détails de l’enquête qui a mené les flics de Hambourg sur la piste des suspects suisses supposément impliqués dans les émeutes de l’Elbchaussée en 2017 (tout comme Loïc), comment ils ont été espionnés, traqués, arrêtés… puis relâchés dans le mesure où la Suisse, elle, a pour tradition de ne jamais extrader ses ressortissants.

Surveillance : l’ampleur de l’enquête du G20 en Suisse

Neuf mois après le sommet du G20 à Hambourg en 2017, la police a frappé simultanément à trois endroits en Suisse : le 29 mai 2018, à 6 heures du matin, une personne recherchée a été interpellée et temporairement arrêtée près de Winterthur, dans le canton de Zurich. Deux autres endroits ont fait l’objet d’une descente policière en même temps. Lors de celles-ci, divers supports de stockage électroniques, des téléphones et d’autres articles ont été confisqués. Mais comment s’est déroulée en amont l’enquête de l’opération nommée « Alster » ?

Nous avons eu accès à une partie des dossiers de la police cantonale d’Argovie et avons décidé de publier les informations que nous y avons trouvées – pour montrer l’étendue de la surveillance policière, pour partager des informations sur le fonctionnement des autorités répressives dans de tels cas et pour avoir de la matière pour se défendre et protéger dans de futurs cas de surveillance. Mais comme nous l’avons déjà dit, nous supposons que nous n’avons eu accès qu’à une fraction des documents que les enquêteur·rices ont utilisés.

L’Opération Alster

En décembre 2017, les autorités judiciaires de Hambourg publient des photos de personnes accusées d’avoir participé aux manifestations contre le sommet du G20, et demandent l’aide à plusieurs États européens pour identifier les personnes recherchées. En janvier 2018, la police cantonale argovienne répond en affirmant qu’elle a trouvé une des personnes recherchées. Le Parquet de Hambourg dépose une demande d’entraide judiciaire le 16 mars 2018 et sollicite l’aide de l’Office Fédéral de la Justice pour l’ »affaire de l’Elbchaussee ». La demande d’entraide judiciaire se fonde sur les infractions « d’émeute » en concours avec « incendie intentionnel ». [1] Dans sa demande, le Parquet de Hambourg requiert les mesures de surveillance suivantes :

  • Surveillance de communications téléphoniques : Surveillance et enregistrement des télécommunications, numéro de téléphone et des connexions internets.
  • Évaluation des données relatives au trafic de téléphones mobiles au cours des six derniers mois.
  • IMSI-Catcher pour la détermination de numéros de téléphones mobiles, de cartes SIM et de leurs localisations.
  • Surveillance de la personne accusée, demandant explicitement la permission d’utiliser des émetteurs GPS à cette fin. Les résultats de l’observation doivent également être documentés avec des photographies, des données personnelles et des données sur le véhicule.
  • Perquisition du domicile, incluant les chambres d’habitation, les salles annexes et les locaux techniques.
  • Une fois ces mesures prises, interrogatoire du prévenu. Une « liste appropriée de questions peut être envoyée en temps voulu », écrit le Parquet de Hambourg.

La surveillance est mise en place durant un peu plus de deux mois. Avec l’exception de l’évaluation des données du téléphone portable, qui sont de toute façon conservées pendant six mois, conformément à la loi suisse.

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ANALYSE / De la cabane forestière aux cellules pénitentiaires

Voici la suite du texte publié précédemment (à lire ici), écrit par Loïc ces dernières semaines depuis la prison de Hambourg. Il y évoque à nouveau ses souvenirs de l’occupation du bois Lejus près de Bure avant d’analyser certains aspects du système carcéral. Loïc est enfermé depuis un an maintenant et son procès devrait durer au moins jusqu’à l’année prochaine.

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Cette cabane [1] n’existe plus. Elle a été décimée par le feu lors de l’expulsion du 22 février 2018. Cinq cents gendarmes contre une petite dizaine d’âmes valeureuses. Il fallait rétablir l’ordre dans la forêt ! Pourtant, il me semble que les arbres, biches, cerfs ou chats sauvages n’ont fait aucun appel à l’état de droit. Libérés de l’emprise des machines de déboisements [2], les oiseaux s’étaient remis à chanter pendant que les cabanes fleurissaient. Je ne pense pas que la forêt soit d’accord avec cette expulsion policière. Le bois Lejus n’est ni à l’État, ni à l’Andra [3] (ces deux têtes d’une même hydre) et encore moins à moi. Ce bois est à ces êtres qui l’ont parcouru d’un œil désintéressé, sans autre projet que de profiter de ce qu’il est. Or il n’est pas une descente aux enfers comme le souhaiterait ce monstre nucléaire étatique. Le vice de ces institutions lourdes et puantes capables de mettre debout une armée de cinq cents hommes dès 5 heures du matin, attriste profondément mon âme.

« J’ai réfléchi à la vanité de tous vos efforts citoyens, vous avez travaillé ici ces cent dernières années et je préfèrerais que ma maison se trouve en face d’un marais naturel. »
Thoreau, avril 1850

« Partout où va l’homme, d’autres hommes vont le poursuivre et poser leurs sales pattes et leurs sales institutions sur lui. »
Thoreau, Journal, juillet 1850

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ANALYSE / Le consentement et la DGSI

Voici un texte que Loïc nous a fait parvenir récemment, écrit depuis la prison de Hambourg et dans lequel il évoque des souvenirs de sa première interpellation, il y a quelques années, lorsqu’on lui reprochait diverses attaques informatiques perpétrées contre des sites de la préfecture de police suite à la mort de Rémi Fraisse et contre le site de l’Andra, l’agence publique en charge du projet d’enfouissement de déchets radioactifs à Bure.

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On m’a reproché de ne pas être assez pudique dans certain de mes poèmes. Avec qui avez-vous eu votre première relation sexuelle ? Si je vous pose cette question c’est qu’il est probable – du mois je l’espère – que vous n’ayez pas la même réponse que la mienne. Pour autant, vous payez à la société française un impôt qui vous rend responsable indirectement de la relation non consentie que j’ai eu avec la DGSI [1]. Lorsque l’agent brigadier-chef qui faisait mon audition de 48 heures à abordé le sujet de ma webcam, il s’est permis cette remarque : « T’inquiète pas, c’est pas pour te voir nu sous ton duvet », rigolant plusieurs secondes avec son collègue muet qui pour le coup s’est enfin mis à exprimer quelques gloussements étouffés. J’aurais préféré qu’on me casse les deux bras car on se remet des blessures physiques, le corps est ainsi fait. Or cette blessure là n’a malheureusement pas de remède, surtout lorsque cela s’accompagne de pression sur votre meilleur ami.

De leurs yeux émergeait l’obscénité, de leurs rires un sadisme insoupçonné. Leur réaction était sans appel, ils m’avaient vu en train de me masturber sous mon duvet. C’était un javelot invisible lancé de nulle part transperçant mon coeur jusqu’à l’organe sexuel. Aucune trace visible sur la peau, pourtant il était bien là, me clouant d’effroi sur ma chaise. J’ai longtemps eu des pulsions souterraines de vengeance, une nocivité sombre s’était installée en moi, enfouie à 500 mètres au fond de ma conscience. Une grande partie de la jeunesse se perd dans la pornographie loin de l’amour véritable qui ne peut exister qu’à travers la relation à l’autre, la liaison des êtres. Moi, en plus d’être perdu dans la pornographie, j’ai perdu ma virginité avec la DGSI.

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