ANALYSE / De la cabane forestière aux cellules pénitentiaires

Voici la suite du texte publié précédemment (à lire ici), écrit par Loïc ces dernières semaines depuis la prison de Hambourg. Il y évoque à nouveau ses souvenirs de l’occupation du bois Lejus près de Bure avant d’analyser certains aspects du système carcéral. Loïc est enfermé depuis un an maintenant et son procès devrait durer au moins jusqu’à l’année prochaine.

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Cette cabane [1] n’existe plus. Elle a été décimée par le feu lors de l’expulsion du 22 février 2018. Cinq cents gendarmes contre une petite dizaine d’âmes valeureuses. Il fallait rétablir l’ordre dans la forêt ! Pourtant, il me semble que les arbres, biches, cerfs ou chats sauvages n’ont fait aucun appel à l’état de droit. Libérés de l’emprise des machines de déboisements [2], les oiseaux s’étaient remis à chanter pendant que les cabanes fleurissaient. Je ne pense pas que la forêt soit d’accord avec cette expulsion policière. Le bois Lejus n’est ni à l’État, ni à l’Andra [3] (ces deux têtes d’une même hydre) et encore moins à moi. Ce bois est à ces êtres qui l’ont parcouru d’un œil désintéressé, sans autre projet que de profiter de ce qu’il est. Or il n’est pas une descente aux enfers comme le souhaiterait ce monstre nucléaire étatique. Le vice de ces institutions lourdes et puantes capables de mettre debout une armée de cinq cents hommes dès 5 heures du matin, attriste profondément mon âme.

« J’ai réfléchi à la vanité de tous vos efforts citoyens, vous avez travaillé ici ces cent dernières années et je préfèrerais que ma maison se trouve en face d’un marais naturel. »
Thoreau, avril 1850

« Partout où va l’homme, d’autres hommes vont le poursuivre et poser leurs sales pattes et leurs sales institutions sur lui. »
Thoreau, Journal, juillet 1850

« Lorsque je me promène dans les bois la bassesse des politiciens trouble mes pensées. Inévitablement je me mets à conspirer. Tous les justes en feront de même, du moins, je l’espère. » [4]
Thoreau, Journal

La Piraterie, quiconque l’a traversée et fut traversé par elle en retour, a vu s’éveillé en sont être l’héroïsme. Je tiens à préciser que l’acte héroïque a mille et une facettes et se trouve parfois simplement dans un regard. Un regard, s’il contient l’univers, enfante des révolutions. Nous pouvons comparer l’État à une pyramide. Sa force réside dans tous ces regards que le base porte vers son sommet à travers un morceau de papier. Il n’y a rien d’ardent dans ce geste, simplement du délaissement. Là où il y a responsabilisation, actions politiques et vies collectives, c’est lorsque nous baissons nos yeux pour les poser sur notre prochain. Dès lors, nous débattons, échangeons, considérons pleinement cet autre qui est moi et faisons ensemble des miracles.

L’État voudrait nous faire croire que nous sommes plus en sécurité auprès de lui que de l’inconnu que l’on croise chaque jour dans la rue. Il enferme l’assassin [5] quand il est lui-même le plus grand trafiquant d’armes. Le monde me paraît plein de dangers dans ses faits divers effroyables ou ces séries policières glauques mais il suffit que je ne regarde plus la télé, ne lise plus la presse et même que je me retrouve en prison pour que la vérité apparaisse. Les détenus avec qui j’ai pu échanger jusqu’à présent sont plus vertueux que bon nombre de nos concitoyens enfouis dans leurs habitudes serviles. Mais les corps se languissent et prennent les rides de l’enfermement.

« Je n’ai jamais lu la moindre nouvelle mémorable dans un journal de toute ma vie. Si nous avons lu une fois qu’un homme a été volé, assassiné ou tué accidentellement, qu’une maison a brûlé, qu’un chien enragé a été abattu ou bien qu’un navire s’est échoué, pourquoi aurait-on besoin d’en lire un autre exemple – un seul suffit. »
Thoreau, Journal, hiver 1846-1847

« C’est une curieuse époque de ce monde quand les empires, les royaumes et les républiques viennent quémander à nos portes et formuler leurs doléances devant nous. Je ne puis prendre un journal sans y trouver qu’un gouvernement misérable ou qu’un autre aux abois intercède auprès de moi, le lecteur, pour que je vote pour lui : plus importun qu’un mendiant italien. Pourquoi ne veille-t-il pas sur son château en silence, comme moi ?
Ce pauvre président, qui ne sait manifestement pas quoi faire pour conserver sa popularité et faire son devoir. Si on ne lit pas les journaux, on peut être mis en accusation pour trahison. Ces journaux sont le pouvoir dirigeant ; ce que fait le Congrès n’en est qu’une répercussion. […] Si un homme néglige de lire le Daily Times, le gouvernement ira s’agenouiller devant lui : c’est la seule trahison de nos jours. Les journaux consacrent spécialement certaines de leurs colonnes au gouvernement et à la politique sans jamais lancer aucune charge contre eux et c’est tout ce qui le sauve – mais je ne lis jamais ces colonnes. »
Thoreau, Journal, 17 novembre 1850

La première fois que j’ai vu d’autres détenus en promenade, mon regard les apercevant de loin fut saisi d’angoisse, je me disais : « Voici donc ces hommes perdus dont il faut se protéger. À les voir tourner ainsi dans cette cage, il est vrai qu’ils m’inspirent horreur et effroi. ». Mais, me retrouvant aussitôt à l’intérieur, je comprends qu’il n’y a rien d’autre de mieux à faire que de tourner en rond. Alors seulement j’ai pu rencontrer pleinement ces êtres meurtris par les inégalités sociales, l’entre-soi familial, la société ou tout simplement la vie en général.

Une classe d’université est venue visiter la prison de Hambourg, elle est passée à trente mètres devant notre promenade et s’est positionnée un instant devant l’entrée du bâtiment. Le professeur parlait sans passion, sans doute de l’historique ou du rôle de l’édifice mais par moment des têtes curieuses désobéissaient à l’enseignement en se tournant vers nous, plongeant leurs esprits dans le cirque de la marche infernale. C’est la même crainte sur leurs visages que celle que j’avais au départ devant ce spectacle. J’avais envie de leur dire, de leur expliquer, de les inviter à tourner en rond avec nous un instant, pour mieux nous connaître et laisser ainsi s’évader les préjugés des esprits trop étroits. Mais les mots allemands me manquaient pour exprimer justement ma pensée, et considérant les deux gardiens, je me suis dit que je ne gagnerais qu’une nouvelle mise à l’isolement pour avoir parlé aux étudiants (sans doute aussi grave que de nourrir les oiseaux). Pour participer au meilleur des cours sur la prison, il faut se rendre criminel aux yeux de l’État, faire juste ce qu’il faut pour y rester quelques semaines. Oui, je crois qu’il s’agit là du meilleur des stages. Un prisonnier aurait du remplacer ce professeur, à moins que ce dernier ne soit un ancien prisonnier. Mais cela m’étonnerait, ayant moi-même dès mon premier procès des interdictions de métier. Il est vrai que c’est une spirale infernale, l’univers carcéral est le vice le plus puissant que j’ai pour le moment découvert en l’institution. Il faut lutter pour ne pas se laisser radicaliser par l’inhumanité des traitements. Il n’y a aucune logique à garder ces mauvaises méthodes.

« Celui qui n’a jamais été en prison ne connaît pas l’État. »
Tolstoï

 

[1] La Piraterie, dans le bois Lejus près de Bure

[2] Ou bien en usant des éléments de langage médiatique : « Libérés de l’emprise des machines casseuses ultra-violentes. »

[3] L’Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs

[4] Citation de mémoire, peut-être inexacte 

[5] Les personnes reconnues coupables d’assassinat constituent moins de 3 % de la population carcérale

 

Photos : Vue aérienne de la prison de Holstenglacis à Hambourg et vue d’un couloir d’une unité récemment rénovée