ANALYSE / Le consentement et la DGSI

Voici un texte que Loïc nous a fait parvenir récemment, écrit depuis la prison de Hambourg et dans lequel il évoque des souvenirs de sa première interpellation, il y a quelques années, lorsqu’on lui reprochait diverses attaques informatiques perpétrées contre des sites de la préfecture de police suite à la mort de Rémi Fraisse et contre le site de l’Andra, l’agence publique en charge du projet d’enfouissement de déchets radioactifs à Bure.

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On m’a reproché de ne pas être assez pudique dans certain de mes poèmes. Avec qui avez-vous eu votre première relation sexuelle ? Si je vous pose cette question c’est qu’il est probable – du mois je l’espère – que vous n’ayez pas la même réponse que la mienne. Pour autant, vous payez à la société française un impôt qui vous rend responsable indirectement de la relation non consentie que j’ai eu avec la DGSI [1]. Lorsque l’agent brigadier-chef qui faisait mon audition de 48 heures à abordé le sujet de ma webcam, il s’est permis cette remarque : « T’inquiète pas, c’est pas pour te voir nu sous ton duvet », rigolant plusieurs secondes avec son collègue muet qui pour le coup s’est enfin mis à exprimer quelques gloussements étouffés. J’aurais préféré qu’on me casse les deux bras car on se remet des blessures physiques, le corps est ainsi fait. Or cette blessure là n’a malheureusement pas de remède, surtout lorsque cela s’accompagne de pression sur votre meilleur ami.

De leurs yeux émergeait l’obscénité, de leurs rires un sadisme insoupçonné. Leur réaction était sans appel, ils m’avaient vu en train de me masturber sous mon duvet. C’était un javelot invisible lancé de nulle part transperçant mon coeur jusqu’à l’organe sexuel. Aucune trace visible sur la peau, pourtant il était bien là, me clouant d’effroi sur ma chaise. J’ai longtemps eu des pulsions souterraines de vengeance, une nocivité sombre s’était installée en moi, enfouie à 500 mètres au fond de ma conscience. Une grande partie de la jeunesse se perd dans la pornographie loin de l’amour véritable qui ne peut exister qu’à travers la relation à l’autre, la liaison des êtres. Moi, en plus d’être perdu dans la pornographie, j’ai perdu ma virginité avec la DGSI.

Il y a plus d’un an, l’hiver dernier [2],lors d’une discussion sur les techniques policières pendant les interrogatoires, j’ai du m’isoler. J’ai littéralement pété un plomb dans un champ et la neige s’est mise en tomber. Les pensées les plus noires me traversaient, des souvenirs que j’avais jusque là refoulés émergeaient subitement à la surface. Je compris que l’enfouissement des émotions n’avait rien réglé, pire, elles devenaient incontrôlables. Je frappais avec rage le sol qui ne pouvait blanchir sous mon poing. La terre vibrait et moi je tremblais. Je devenais l’épicentre d’un séisme et des vagues de larmes n’ont pas tardé à déferler sur mes joues. J’aurais pu m’éteindre à ce moment là, perdre toute lueur d’amour. C’était une haine qui grandissait, chaque seconde un peu plus, prête à ôter toute énergie de vie. Sur mon visage apparaissait le sourire du mal, mes paroles devenaient un venin puissant et mes larmes, de la lave en fusion. Oui, j’aurais pu m’éteindre à ce moment là si une amie intègre – qui a les mots justes qui transpercent les débats, qui suit la stratégie de son cœur en construisant tout autant des ponts – n’avait pas rallumé ma flamme : « Ne les laisse pas éteindre l’amour qui est en toi ». Elle venait de semer une graine sur la désolation de mon âme. Je ne savais pas encore qu’elle venait de me sauver.

J’étais dans un brouillard de guerre, j’avais besoin d’être seul. La neige tombait toujours, alors je suis parti un peu plus loin dans le champ marchant en chaussettes. L’humidité des premiers pas fit rapidement place à la rigidité du gel se faisant de plus en plus présente. Mais qu’importe, je pouvais bien perdre mes pieds, plus rien n’avait d’importance. Alors je marchais inlassablement sur la dune enneigée, jusqu’au petit bois du Chauffour en sommet. Je voulais crier mais rien ne sortait. J’étais une coquille vide et m’apprêtais à me coucher dans la neige qui me semblait si douce. Mes pieds n’existaient déjà plus dans ma perception. Après tout, si je dois m’éteindre, autant le faire dans la douceur du froid. J’étais sur la colline la plus proche des cieux [3]. Mais mon regard s’est posé sur une petit fumée s’élevant dans le ciel juste au dessus du bois Lejus. Elle venait du poêle de la Piraterie, une cabane magnifique en forme de tipi allongé [4]. La personne qui a allumé ce feu savait-elle qu’elle venait de déposer une bûche sur les braises de mon âme ? Reprenant alors petit à petit mes esprits je me dirigeais vers cette cabane où j’ai pu réchauffer mon corps, sauver mes pieds et faire germer la graine de l’amour que cette douce amie avait déposé.

« Je n’aime pas tout le monde
Je n’aime pas tout, toujours
Mais ce que j’aime est un tout
Et dure jusqu’à la fin des temps. »
Thoreau, poème, 1849

« Efforçons nous de sauver la vie de nos amis tant que nous le pouvons. »
Thoreau, 1850

À suivre…

[1] Direction générale de la sécurité intérieure

[2] L’hiver 2017-2018

[3] Précision inutile car l’échelle des hauteurs terrestres n’a aucune incidence sur celle des hauteurs célestes

[4] Ou charpente sans murs, posée à même le sol. Les mots exacts me manquent pour décrire l’indescriptible

 

Illustration : linogravure demandée par Loïc