Nous pensions que les prisons françaises excellaient en matière d’absurdité kafkaïenne. Nous voilà détrompé.es ! L’administration pénitentiaire allemande semble bien en mesure de leur faire la leçon. Depuis son arrivée à la taule centrale de Hambourg, notre ami subit quotidiennement l’arbitraire d’un règlement où l’opacité le dispute à l’invraissemblable. Un exemple. Le mois dernier, Loïc a été punit d’une heure d’isolement parce qu’il donnait du pain aux oiseaux venus siffler un air de liberté aux barreaux de sa fenêtre. Le pain, paraît-il, rendrait malade les maigres volatiles. Mais les bons sentiments des matons ne les ont guère pousser à retirer les lames aux barbelés qui partout hérissent les murs de la prison et sur lequels gisent les cadavres de moineaux malchanceux. « Bien que ce fut la punition la plus absurde et la plus méchante de ma vie, je n’ai pas pu m’empêcher de rire« , écrit Loïc dans l’une de ses lettres.
Le reste est à cette image. Chaque acte, chaque jour entre ces murs, est marqué du sceau de la bêtise bureaucratique. Depuis son extradition le 6 octobre, Loïc se trouve dans le bâtiment réservé aux détenus étrangers, c’est-à-dire à ceux qui ne parlent pas allemands. Et dans ce bâtiment, bien sûr, aucun surveillant ne parle une autre langue que l’allemand. Ses affaires personnelles sont restées bloquées durant des semaines. 25 jours avant de recevoir le moindre vêtement. Un mois et demi pour obtenir quelques uns de ses livres parmi lesquels, nous l’espérons, des dictionnaires et une méthode d’allemand.
Les livres, parlons-en. Pour qu’il les reçoive, ceux-ci doivent être neufs. L’administration recommande de les acheter sur Amazon mais accepte toutefois les colis d’une librairie de la ville. Et pour chaque ouvrage, le prisonnier doit obtenir une autorisation spécifique. Sans cela, le livre entre en prison et file directement au grenier où il l’attendra jusqu’à sa sortie. Malgré ces précautions, certains livres se perdent en route. Sûrement dorment-ils au côté de la partie du courrier qui n’est jamais délivrée ou expédiée… Cette autorisation, « Anfrage » en germain, est le sésame qui régit la vie des taulard.es. Il faut remplir un papier pour tout. Et le papier, il faut le remettre au surveillant au réveil, c’est-à-dire à 6h45 du matin. Ensuite, c’est trop tard pour le reste de la journée. C’est qu’il faut bien inculquer la discipline matinale aux repris de justice.
Seul en cellule 23 heures par jour, Loïc n’a droit qu’à deux heures de parloir par mois (hormis les rencontres avec ses avocats). Et là encore, la taule fait preuve d’ingeniosité pour humilier les êtres et contraindre les corps. Trois personnes sont autorisées à le voir mais elles n’iront pas seules. Dans le box aseptisé où une longue table empêche les étreintes se trouvent deux mouchardes, une interprète francophone et une flic connaissant parfaitement le dossier. Un mot au sujet du G20 ou de sa future ligne de défense et s’en est fini de la visite. Difficile de savoir ce qui relève du traitement habituel et ce qui est particulier à sa situation mais il semble que la dureté de ces conditions, comme celles de toute.s les autres prisonnièr.es du G20, ne soit pas sans lien avec le caractère politique des faits qui lui sont reprochés. Comme leur gouvernement, leurs juges et leurs flics, les matons hambourgeois n’ont toujours pas digéré les journées émeutières de juillet 2017.
Ouverture du procès
Malgré cela, Loïc tient bon et il garde le moral. Si l’incarcération le bouleverse c’est parce qu’il constate à tout moment qu’elle n’est qu’une machine à broyer les âmes et soumettre les corps, un outil de vengeance au service de la justice classiste et raciste.
« Je n’ai pas de mots pour décrire la souffrance de toutes ces âmes qu’on enferme dans l’indifférence, écrit-il. La prison est une horreur et si elle persiste c’est grâce aux préjugés. On n’éveille malheureusement pas la flamme de la révolte en écrivant Feu aux prisons mais en amenant les consciences de chaque individu à cette conclusion.«
Désormais notre ami est déterminé à préparer sa défense pour le procès fleuve qui s’ouvrira le 18 décembre. La justice allemande prévoit une trentaine de journées d’audience jusqu’au mois de mai prochain ! Quatre autres jeunes comparaîtront aux côtés de Loïc, tous âgés de moins de 25 ans, dont deux étaient mineurs au moment du G20 de Hambourg. Ceux-là n’ont pas été incarcérés jusqu’à lors. Les deux autres, en revanche, viennent de subir les aléas de cette justice qui traite comme des pions celles et ceux qu’elle dit être ses ennemis. Après six mois de détention et alors que tout porte à croire qu’ils se présenteront à leur procès, les deux jeunes originaires de la région de Francfort ont été libérés. Deux heures plus tard, le parquet faisait appel et leurs avocats leurs conseillaient de revenir d’eux mêmes dans les cages de l’État. Sans doute espéraient-ils que leur bonne volonté serait récompensée mais l’appel a confirmé depuis leur maintien en détention.
Cinq personnes comparaîtront donc dans ce procès de la Elbchaussee – du nom de l’avenue d’un quartier bourgeois de la ville, méthodiquement saccagée à l’aube du 7 juillet 2017 par des centaines de rebelles tout de noir vêtus. La plupart sont accusées d’avoir simplement pris part à cette manifestation et, pour cela, l’État compte réclamer à leur encontre plusieurs années de taule.
Si le dossier est vaste, il est principalement composé de centaines de pages de descriptions des dégâts et de dizaines d’heures de vidéos directement fournies à la police par les bon.nes citoyen.nes hambourgeoi.ses. Quant aux « preuves », elles sont pour bon nombre d’un nouveau genre (technologies de reconnaissance faciale, profil de démarche, corrélation hasardeuse entre des images prises à des endroits et moments différents etc.) et il leur reste à démontrer qu’elles tiendront devant un tribunal.
Appel à rassemblements
Vu d’Hambourg, ce procès s’annonce retentissant. Parce que cette balade matinale sur la Elbchaussee est perçue comme le pire affront subi par les organisateurs du G20. Parce que les moyens policiers déployés depuis un an et demi ont été massifs et qu’ils appellent des résultats. Parce que les termes de l’accusations tentent d’éluder le contenu politique des protestations pour laisser croire à une bande criminelle organisée. Par ailleurs, les accusés étant jeunes, il y a un fort risque que la Cour décide de faire son sale travail à huis clos. Pourtant, ni les principaux concernés ni leurs avocats ni même le procureur ne souhaitent un tel dispositif. L’audience du 18 décembre sera d’abord consacrée à trancher cette question technique. Il est donc possible que ce soit là la seule occasion de voir nos amis et compagnons et de leur manifester notre soutien.
Quoiqu’il en soit, il ne fait plus aucun doute que ce procès sera celui de tous les « troubles » survenus dans la cité portuaire à l’occasion de la réunion de tous les puissants de cette planète. Quelques personnes risquent aujourd’hui de lourdes peines mais c’est l’ensemble de nos mouvements qui sont attaqués. L’objectif est clair. Il s’agit de criminaliser toutes les formes de contestation de l’ordre néolibéral, de nous faire passer le goût des sommets internationaux pour qu’enfin les exploiteur.euses de tous poils puissent ripailler en toute sérénité au coeur même de nos villes.
Que ce procès se fasse à huis clos ou en public, il faut qu’il soit partout l’occasion de porter haut et fort notre parole de résistance, celle de notre ami aujourd’hui enfermé entre leurs murs. Les seul.es criminel.les que l’on ait vues dans les rues de Hambourg en juillet 2017, ce sont celles et ceux qui se sont réuni.es à nouveaux à Buenos Aires ces jours-ci, qui iront à Davos au mois de janvier et Biarritz l’été prochain. Celles et ceux qui partout s’organisent pour détruire nos vies, planifier nos futurs et administrer le désastre qu’iels s’emploient à accentuer.
C’est pourquoi nous appelons à organiser partout des rassemblements en soutien à Loïc et autres inculpés du G20, le 18 décembre prochain et n’importe quand durant les prochains mois. À Hambourg, les camarades prévoient d’être présent.es devant le tribunal chaque jour de procès. Des manifestations et rassemblements sont déjà prévus dans plusieurs villes allemandes ainsi qu’à Nancy et Paris.
Qu’il s’agisse de projections, de débats, de discussions, de lectures de poèmes autour d’un vin chaud ou de blocages devant les tribunaux, toutes les mobilisations sont importantes. Il s’agit de nous retrouver et de ne pas laisser la justice faire son travail de répression dans l’indifférence.
Seul.e.s quelques-un.e.s sont enfermé.e.s, mais nous somme tou.te.s visé.e.s !
Liberté pour Loïc !
PS.- Hier, 4 décembre 2018, Loïc devait être jugé à Paris pour une précédente affaire de piraterie informatique. Comme en septembre dernier, et alors même qu’il est aux mains de la justice, notre ami n’a pas été conduit devant le tribunal pour s’y défendre. Cette absurde affaire où l’État s’obstine à le juger deux fois pour les mêmes faits a donc été une dernière fois reportée au 14 mai 2019 à 13h30 (cour d’appel de Paris, Pole 4, chambre 10 : accès par escalier A que vous trouverez derrière la sainte chapelle, en prenant la porte 13, en dépassant la machine à café et traversant la cour du 36 quai des orfèvres).
Article initialement publié sur manif-est.info, lundi.am et d’autres sites autonomes, en français, allemand et anglais.