Le 18 décembre dernier, Loïc a enfin été libéré après 16 mois de détention. Le texte qui suit constitue sa première déclaration. Notre ami revient sur les conditions de cette libération, sa vie à l’intérieur de la prison, le procès qui continuera au moins jusqu’en avril et sa détermination à continuer ses combats et à soutenir le mouvement social partout où il s’étend.
Après un an et quatre mois d’enfermement, comment assembler les mots ? Comment connecter la réalité carcérale à la zone du dehors, briser le mur qui le sépare ? En prison, je me suis effacé, je n’ai plus pensé à moi. J’ai fait le vide afin de ne pas souffrir. Je me suis également fermé à mes souvenirs, à ce qui se passe au-delà de ces murs afin de me concentrer sur cette nouvelle vie avec les autres détenus. Ce fut une des raisons pour laquelle j’ai eu peu de forces pour répondre aux nombreuses lettres reçues. Aujourd’hui, je remarque que je ne ressens plus grand chose, que je n’ai plus de passion (si ce n’est la neige). Il y a un vide. Mon esprit est ailleurs. Une nouvelle conception de temps m’habite, j’ai des moments de contemplations, de silences, d’absences.
Le procès n’a pas arrêté d’être repoussé. Il devrait désormais finir en avril. La libération conditionnelle de ce 18 décembre était inespérée, quelques semaines auparavant, le procureur avait prévenu qu’il ferait appel contre la décision du tribunal de remise en liberté. Je m’attendais au mieux à bénéficier de deux heures de liberté avant de devoir retourner en prison, comme ce fut le cas précédemment pour les deux autres accusés qui ont été libérés mais contraints de revenir en prison après l’appel du procureur. Je me préparais à dire que je souhaiterais rester en cellule jusqu’à la décision finale. Car sortir deux heures, en plus de déglinguer votre cerveau, c’est risquer de devoir retourner dans le bâtiment A.
LE BÂTIMENT A
Ce bâtiment, c’est celui des arrivants. Là, on doit rester 23h/24 en cellule. C’est un endroit sombre où des détenus craquent, crient et tapent sur les murs. J’y suis resté quatre mois. Pendant le premier mois après mon extradition de France, je n’avais que les habits que je portais sur moi en arrivant. Impossible de récupérer mes affaires pourtant arrivées en même temps.
Dans ce bâtiment, c’est deux douches collectives par semaine, à 6h45 du matin. J’y lavais alors mon caleçon puis je me rhabillais sans car il fallait d’abord le faire sécher sur le radiateur de ma cellule. Dans ce bâtiment, c’est des gardiens qui vous gueulent dessus et vous poussent si vous dépassez la ligne invisible entre votre cellule et le couloir lors de la distribution du repas. L’unique instant de respiration dans une cellule de moins de deux mètres de large sur quatre mètres de long : c’est une heure de promenade par jour. Dans ce bâtiment, il y avait essentiellement des étrangers dont le crime est d’être sans papiers, des petits dealers ou des accusés de vols. J’ai vu des gardiens frapper un détenu d’origine étrangère qui voulait simplement récupérer un livre de la cellule d’à côté en retour de promenade. J’ai vu des regards haineux de gardiens se porter longuement sur des détenus racisés. La plupart des étrangers que j’ai croisés en promenade dans ce bâtiment A définissent les gardiens comme des nazis. Cela m’a fait bizarre d’entendre ça aujourd’hui, sachant que, dans cette même prison, il y a moins d’un siècle, des nazis ont tué plusieurs centaines de personnes.
LE PROCÈS ELBCHAUSSEE OU L’IMPROBABLE COMPLICITÉ
Le procès est particulier. 99 % des faits reprochés n’ont rien à voir avec les accusés. L’accusation s’étend à plus de 1 million d’euros de dégâts. Le procureur tente de construire et d’imposer une vision très large de la complicité, au point qu’il désire même l’étendre au-delà de la présupposée présence des accusés. Concrètement, imaginez-vous dans une manifestation, quelqu’un brûle une voiture à 50 mètres de vous : vous êtes considérés comme responsable des dégâts. Mais ce n’est rien ! Imaginez-vous maintenant quittant une manifestation, 10 minutes plus tard, un cocktail molotov est lancé : bien que vous n’êtes plus présent, vous êtes aussi considéré comme responsable.
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