Le 24 août dernier, Loïc était convoqué à Nancy par la DGSI (Direction Générale de la Sécurité Intérieure). Deux flics avaient fait la route depuis Paris pour l’interroger sur une mystèrieuse affaire où notre ami était convoqué en tant que témoin. Voici son récit, écrit dans la foulée.
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« J’ai décidé de ne pas répondre aux questions en me limitant à cette réponse : « Je n’ai pas envie de répondre », expliquant dès le début que j’ai déjà eu une mauvaise expérience avec cette élite policière par le passé. La policière de la DGSI qui faisait mon audition me répond alors « ah bon ? Pourtant, dans le rapport de votre GAV de 2015 avec la DGSI, vous avez bien répondu aux questions et vous étiez très respectueux et coopératif ».
Je lui précise en retenant mes larmes que j’avais subi plusieurs pressions qui m’avaient traumatisées. Et que maintenant je suis encore moins en confiance vis-à-vis de la DGSI, sachant comment sont lissés leurs rapports.
Ils n’ont rien à me reprocher. Elle me dit que je n’ai pas à m’inquiéter, car je ne suis que témoin sinon ils seraient venus à 6h00 du matin me chercher. L’autre policier de la DGSI change de place après que je lui précise que je n’entends pas de l’oreille gauche. En se positionnant en face de moi et posant son bras sur la table, je remarque qu’une goutte de sang coule de son bras, je lui dis spontanément : « vous saignez ! » il répond en me regardant : « t’aurais pu faire attention ! » sous-entendant en blaguant que je l’aurais agressé. Il rigole avec sa collègue et je rejoins avec un rire forcé la blague de mauvais goût. Par la suite, je me suis demandé pendant plusieurs minutes si c’était une blague ou une construction policière pour exercer un moyen de pression.
Mes réponses répétitives agacent la DGSI qui s’est mise à me poser des questions (retranscrite dans le PV) comme « Faisait-il beau hier à Nancy ? » Mais comme je n’ai également pas eu envie de répondre, l’enquête météorologique n’a pas pu avancer. Nous ne saurons donc pas si il faisait beau ou non hier à Nancy. Un scandale.
Mais il fallait être prudent, si par mégarde, j’avais dit qu’il faisait beau alors qu’il pleuvait. Cela serait devenu un faux témoignage avec à la clef un risque de 5 ans de prison ferme maximum. Je n’ai pas eu envie de prendre ce risque.
J’ai demandé 3 ou 4 fois sur quoi ils enquêtent. Même si la policière de la DGSI semble ravie de voir que je dise autre chose que « je n’ai pas envie de vous répondre » mes questionnements resteront cependant absents du procès-verbal lors de la relecture. Je ne le signerai pas. Malgré mes demandes répétitives de savoir pourquoi je suis là, la nature de cette affaire, on refuse de me le dire au prétexte que je refuse de répondre aux questions « basiques » comme le temps qu’il faisait à Nancy hier, ma date de naissance écrite sur le permis de conduire qu’avait la policière de la DGSI dans sa main, ou encore « Quels sont vos centres d’intérêts, vos activités ? »
On me demande à un moment si je me considère comme un militant écologiste. Précisant encore une fois que je ne veux pas répondre, la DGSI me dit : « attends, c’est bien l’écologie non ? Tu ne veux même pas répondre à ça ? » « – je n’ai pas envie de vous répondre ».
Quels rapports ont toutes ces questions avec l’enquête ? En quoi les centres d’intérêts d’un témoin ou le temps qu’il a fait hier à Nancy aidera à résoudre l’affaire ?
La DGSI joue la carte de l’ego et de la pseudo-intrusion : « Vous tenez super bien votre ligne, franchement chapeau, je suis surpris, je suis content d’avoir fait le déplacement. Tu pourrais faire du théâtre, tu sais. Tu sais très bien jouer un rôle. Mais par contre on le voit avec tes mimiques, tu te trahis avec ton regard, même si tu ne veux pas répondre. On peut refaire l’audition depuis le début si tu veux, parce que là, tu vas t’en vouloir, ça va te tracasser de ne pas savoir pourquoi on t’a convoqué exactement. Je te le dis pour toi. Tu vas le regretter, tu vas y penser des jours et des jours. Si tu réponds aux premières questions, on te posera les questions sur l’affaire. »
Aurais-je trahis par mon attitude ou mon regard le temps qu’il faisait hier à Nancy ?
On peut se demander pourquoi ces questions anodines sont si importantes. À un tel point que ne pas savoir le temps qu’il faisait hier à Nancy, empêche une enquête de la DGSI datant de 2018. Une des stratégies policières est de vous laisser parler sur des sujets sans importance pour petit à petit glisser vers les sujets sensibles. Étant lancé, vous ne pouvez plus vous arrêter car cela serait louche. Mélangé avec les techniques psychologiques de « créations de souvenirs », vous pouvez être amené à dire des choses que votre interlocuteur veut vous faire dire, mais qui n’existent pas dans la réalité. D’autant plus quand la narration est portée par « l’uniforme », « l’autorité ». Ayant vécu cette situation avec la DGSI en 2015 lorsque j’avais 19 ans, je n’ai pas eu envie de re-participer à cet ignoble spectacle qui se déroule dans le huis-clos des commissariats, où des « réalités » sont construites aux bons vouloirs d’acteurs et d’actrices endossant le rôle oppressant de policier. Alors que l’on pourrait se passer de ces uniformes et commissariats pour regarder nu le ciel et sentir la pluie ruisseler sur son corps.*
Au final je ne saurai même pas de quelle infraction j’aurais été le témoin, les policiers ne m’ayant rien dit à ce sujet… comment pouvais-je donc témoigner de faits dont j’ignore tout ?
Je remercie Le Bloc Lorrain et Média Jaune de Lorraine pour le soutien et le rassemblement devant le commissariat. Ainsi que toutes les autres personnes venues soutenir depuis d’autres horizons. »
Loïc, 24 août 2021
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* LIVRE pour creuser : « Abolir la police, Échos des États-Unis » – Collectif Matsuda (10 septembre 2021)
Les États-Unis ont connu des révoltes Black Lives Matter sans précédent à l’été 2020, après la mort de Georges Floyd, un Afro-Américain tué par un policier. Les slogans « Abolish the police » et « Defund the police » se sont imposés dans le débat public. Le programme est clair : il faut créer des mondes plus sûrs et plus justes, sans police, depuis des collectifs de quartier, afro-américains ou féministes. Ou, comme dit Angela Davis, « construire des communautés fortes pour rendre la police obsolète ». Ce recueil de traductions inédites présente le mouvement abolitionniste américain, particulièrement stimulant, ainsi que les luttes desquelles il hérite, de labolition de lesclavage au Black Power.