Les quelques lignes qui suivent sont issues de paroles rapportées mais relatent des faits avérés. Il faut les lire comme telles, quelque part entre la réalité et la fiction. Telles sont les conséquences de l’interminable huis clos infligé à notre ami. En attendant de recevoir prochainement quelques mots de sa main, nous sommes contraints de raconter comme faire se peut les épisodes d’un procès auquel nous n’assistons plus.
Au tribunal de Hambourg, les audiences étaient émaillées de multiples pauses. Durant les premières semaines, Loïc se voyait systématiquement extrait de la salle et emmené par des surveillants dans une petite cellule à proximité. Il devait attendre là la reprise des débats et ce ballet de portes et de verrous pouvait s’exécuter plusieurs fois par jour. On ne sait si c’est l’absurdité de la chose ou bien la bonne conduite de notre ami qui vinrent à bout de ce rituel idiot mais toujours est-il que la pratique cessa au bout de quelques temps. Loïc patientait désormais dans la salle d’audience jusqu’au retour de la cour et des jurés, en compagnie de ses avocats et des autres inculpés. Et puis, récemment, il eut la mauvaise surprise de se voir emmener de nouveau dans la coulisse du tribunal par quelques gardes plus zélés que les autres. Ils le conduisirent dans une cellule encore plus exiguë, plus sombre qu’à l’accoutumée. Un cachot, faudrait-il plutôt écrire. Ce cachot, il n’avait pas encore eu le loisir de le visiter et lorsqu’il y a entra contre son gré, il baignait dans une faible lueur et une odeur pestilentielle.
On ne sait combien de temps dura cet internement qui devait avoir le goût à présent familier de l’arbitraire. Quand ils ouvrirent la porte pour l’extraire, Loïc fit probablement remarquer aux surveillants combien la cellule était indigne. Jamais il n’en avait fréquenté d’aussi répugnante. Dans un allemand parfois hésitant, il les invita peut-être à entrer pour constater par eux-mêmes mais ils le repoussèrent vigoureusement dans le dos [1]. On imagine la morgue se faufilant sur ces visages endurcis. Ils accompagnèrent l’accusé jusqu’à sa place puis reprirent position de chaque côté de la porte. Si quelqu’un, alors, avait regardé ces agents de la pénitentiaire, il aurait pu voir qu’ils ne parvenaient pas à masquer la satisfaction d’avoir joué ce qui pour eux n’était qu’un mauvais tour. Mais personne, bien entendu, ne les regarda. On ne les regardait jamais que quand ils sortaient les muscles. Dans ce décor grandiloquent, ils étaient comme des lustres suspendus au dessus de l’assemblée, le faste des dorures en moins.
Les débats reprirent leurs cours. On ne sait quel obscur point de détail avait occupé les magistrats durant l’heure précédente mais ils commencèrent à exposer leurs conclusions. Il est vraisemblable que l’attention n’était pas à son comble. La ferveur qui avait accompagné l’ouverture du procès avait cédé la place à une routine besogneuse. Les avocats notaient les alinéas cités, les accusés s’en remettaient à eux et Loïc écoutait les explications de l’interprète assise à sa gauche. On ne sait qui, parmi la vingtaine de personnes présentes, nota en premier l’odeur fétide qui s’étirait depuis le fond de la salle. Elle se répandait comme une rumeur nauséabonde. Les têtes se tournaient, elles gigotaient, se penchaient piteusement à la recherche d’une explication. Alors la juge s’interrompit. Avec son air de professeure de biologie en fin de carrière elle interrogea l’assistance sur ce qui la distrayait de la sorte. On chercha une manière adéquate pour l’informer du désagrément. L’un des deux procureurs proposa peut-être avec euphémisme que l’on ouvrit grand les fenêtres. Chacun tournait autour du pot. La juge excédée réclamait un peu d’apaisement lorsque le relent suspect se hissa jusqu’à son piédestal. Elle s’en offusqua dans un langage fleuri. Elle ne ratait jamais une occasion de s’échapper brièvement de son rôle. Cela déclenchait quelques rires, elle témoignait ainsi de son humanité et tentait de susciter un élan d’empathie parmi celles et ceux, au pied de l’estrade, qui faisaient office de sujets pour sa cour. On ouvrit les fenêtres.
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